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From La Légende de Trajan, by Gaston Paris, Extrait des mélanges publiés par l’École des Hautes Études; Paris: 1878, pp. 261-275.

[261]

LA LÉGENDE DE TRAJAN.

I.

LA JUSTICE DE TRAJAN.

Dans deux textes, l’un du viiie siècle, l’autre du ixe, dont nous examinerons plus tard l’origine et le rapport, mais qui ont sans doute puisé ce qu’ils contiennent à une source commune, qui était du xiie siècle, nous lisons l’histoire suivante, rapportée à Trajan. J’imprime ces deux texts en regard, en passages que l’autre a seul. Les auteurs de ces textes sont pour nous, jusqu’à nouvel ordre, Paul (viiie siècle) et Jean (ixe siècle), tous deux diacres.




PAUL JEAN



262
    Cum idem orbis princeps in ex-     Trajano ad imminentem belli
peditionem circumvallatus mili- procinctum vehementissime festi-
tum cuneis pergeret, ibidem ob- nanti
viam habuit vetustissimam viduam,                 vidua quædam
simulque dolore ac paupertate  
confectam, cujus lacrymis atque  
vocibus sic compellatur : Princeps                    processit flebili-
piissime Trajane, ecce ii sunt ter :
homines qui modo mihi unicum Filius meus inocens te regnante
filium, senectutis meæ scilicet ba- peremptus est.
culum et solatium, occiderunt,  
meque cum eo volentes occidere,  
dedignantur mihi pro eo etiam  
aliquam rationem reddere.  
  Obsecro ut quia cum mihi reddere
  non vales sanguinem ejus digneris
  legaliter vindicare.
    Cui ille, festinato, ut res exige- Cumque Trajanus,
bat, pertransiens : Cum rediero, si sanus reverteretur a præ-
inquit, dicito mihi, et faciam tibi lio, hunc se vindicaturum per om-
omnem justitiam. Tunc illa : Do- nia responderet, vidua dixit : Si
mine, inquit, et si tu non redie- tu in prælio mortuus fueris, quis
ris, ego quid faciam? mihi præstabit? Trajanus respon-
  dit : Ille qui post me imperabit.
  Vidua dixit : Et quid tibi proderit
  si alter mihi justitiam fecerit? Tra-
  janus respondit : Utique nihil. Et
  vidua : Nonne, inquit, melius tibi
  est ut tu mihi justitiam facias et
  pro hoc mercedem tuam accipias,
  quam alteri hanc transmittas? Tum
           Ad quam vocem. Trajanus ratione pariter et pietate
  commotus equo descendit, nec
substitit, et reos coram se adduci ante discessit quam judicium vi-
fecit, neque, cum suggereretur a duæ per semet imminens profli-
cunctis accelerare negotium, gres- garet.2
sum a loco movit, quousque (et?)  
viduæ fisco quod juridicis sanctio-  
nibus decretum est persolvi præ-  
cepit; denique supplicationum pre-  
cibus et fletibus super facto suo  
pœnitentes, viscerali clementia  
fixus, non tantum potestate quam  
precatu et lenitate vinctos præto-  
rialibus catenis absolvit1  
 


Il est clair que ces deux récits ne dérivent pas l’un de l’autre; mais lequel a le plus fidèlement suivi l’original commun? Il est difficile de la dire. Je suis porté à croire que presque tout ce qui se trouve dans un seul des deux texts est ajouté par le rédacteur respectif. Les additions semblent en effet s’expliquer des deux parts par le désir, suivi d’ailleurs d’un médiocre succès, d’embellir le récit. C’est ainsi que Paul ajoute à la douleur de la veuve, pour la rendre plus intéressante, une extrême vieillesse et une cruelle pauvreté, ce qui amène plus tard la mention des dommages-intérêts que lui paye le fisc. Le même auteur, voulant mettre en lumière la clémence de Trajan autant que sa justice, a ajouté le dénouement inutile et même ridicule de la grâce faite aux meurtriers. — Jean, de son côté, paraît avoir fait au dialogue entre la 263 veuve et Trajan l’addition malheureuse où il est question du mérite et de la récompense de l’action du prince. Outre que les pensées de ce genre sont toutes chrétiennes, et que la considération qui décide ici Trajan affaiblit beaucoup la portée de son action, il est sensible que cette addition diminue l’effect du court et énergique dialogue qui précède. Un seul trait me semble authentique, bien qu’il ne figure que dans Jean, c’est la mention du cheval sur lequel l’empereur est monté et duquel il descend pour rendre justice à la veuve. — On peut donc croire que l’anecdote, telle qu’on la racontait à Rome au vie siècle, était bornée aux traits suivants : “Trajan partait pour une expédition militaire, quand une veuve l’arrêta et lui demanda justice du meurtre de son fils. Je te ferai justice, dit-il, quand je reviendrai. — Et si tu ne reviens pas? — Frappé de ces paroles, il descendit de cheval et jugea lui-même l’affaire.”

La version de Jean a passé dans plusieurs écrivains postérieurs; nous la retrouvons, par exemple, avec de simples variations de style, dans les Annales Magdeburgenses (fin du xiie siècle)3, dans la Summa prædicantium4 de l’Anglais John Bromyard († 1419), et dans plusieurs autres ouvrages d’histoire et de piéte5. La version de Paul, bien que la Vita Gregorii où elle se trouve ait été fort répandue, n’a pas eu le même succès. Mais une troisième version, qui paraît composée à l’aide de l’une et de l’autre, a obtenu au contraire une vogue durable et glorieuse. La voici telle qu’elle se lit dans le Policraticus de Jean de Salisbury, écrit en 11596 :

Quum [Trajanus] jam equum adscendisset ad bellum profecturus, vidua, apprehenso pede illius, miserabiliter lugens sibi justitiam fieri petiit 264 de his qui filium ejus, optimum et innocentissimum juvenem, injuste occiderant. Tu, inquit, Auguste, imperas, et ego tam atrocem injuriam patior? — Ego, ait ille, satisfaciam tibi quum rediero. — Quid, inquit illa, si non redieris? — Successor mens, ait Trajanus, satisfaciet tibi. — Et illa : Quid tibi proderit si alius bene fecerit? Tu mihi debitor is, secundum opera tua mercedem recepturus. Fraus utique est nolle reddere quod debetur. Successor tuus injuriam patientibus pro se tenebitur. Te non liberabit justitia aliena: Bene agetur cum successore tuo si liberaverit se ipsum. His verbis motus imperator descendit de equo et causam præsentialiter examinavit et condigna satisfactione viduam consolatus est.7

Je pense que Jean de Salisbury est l’auteur de cette version, que se retrouve textuellement dans Hélinand († 1227), reproduit par Vincent de Beauvais8; il n’y a rien d’étonnant à ce qu’Hélinand, simple compilateur, ait inséré dans sa mosaïque l’extrait qu’il avait fait du Policraticus, tandis qu’il serait tout à fait contraire aux habitudes de Jean de Salisbury d’avoir copié un écrivain plus ancien sans modifier son style. L’auteur du Policraticus paraît, comme je l’ai dit, avoir eu sous les yeux les deux versions anciennes : il a emprunté à Paul le nombre pluriel des meurtriers, les expressions quum rediero (dans Jean si sanus reverteretur) et si non redieris (dans Jean si tu in prœlio mortuus fueris); il a pris à Jean l’épithète d’innocent donnée au fils, l’amplification du dialogue (qu’il a lui-même varié et allongé en partie, bien qu’en supprimant la réplique de Trajan : utique nihil), et enfin la mention du cheval. Il a ajouté de son chef, outre les réflexions insérées dans le dialogue, un détail pittoresque : la veuve arrête l’empereur à cheval en le saisissant par le pied.

L’auteur du poème français sur Girart de Roussillon, écrit entre 1330 et 1368, qui a pris pour base la légende latine composée au xie siècle et a consulté aussi l’ancienne chanson de geste provençale, a inséré dans son œuvre, plus ou moins à propos, un certain nombre de récits, d’exemples, qui ont été étudiés et ramenés à leur source par M. Reinhold Kôhler9 : 265 l’un de ces exemples est celui de la justice de Trajan, traduit fidèlement sur le texte d’Hélinand, c’est-à-dire de Jean de Salisbury, que l’auteur avait lu dans Vincent de Beauvais.

C’est sans doute directement du Policraticus que notre récit avait passé dans une compilation latine qui ne s’est pas encore retrouvée, mais dont nous possédons une traduction italienne, intitulée Fiori di filosofi, et attribuée sans motifs suffisants à Brunetto Latino10. L’auteur, qui écrivait certainement au xiiie siècle, a traduit exactement son original, ajoutant seulement quelques mots à la seconde réplique de la veuve. Trajan lui dit : “E s’ io non reggio, e ti soddisfarà il successore mio.” Elle répond : “E io come il so? E pognamo ch’ elli lo faccia, a te che fia se quell’ altro farà bene?” A la fin aussi, le traducteur italien (ou peut-être déjà le compilateur latin qu’il traduisait) a cru devoir ajouter : “E poscia salio a cavallo, e andò alla battaglia e sconfisse li nimici11.” Le récit des Fiori di filosofi a servi de base à la 69e des Cento Novelle antiche12, où le style seul a été changé, rendu plus populaire et plus vif. Comme dans le premier récit, on lit à la fin de celui-ci : “E poi cavalcò e sconfisse i suoi nemici,” ce qui met hors de doute la dépendence de ces deux testes, l’un de l’autre13 : la texte des Cento Novelle s’éloignant sensiblement plus du latin, il est sûr, se qui était d’ailleurs probable a priori, que le rapport est tel que je l’ai indiqué, et non inverse14.

266

Mais le récit des Fiori di filosofi mérite surtout l’attention parce qu’il a certainement inspiré les vers célèbres où Dante à son tour a raconté l’histoire de Trajan et de la veuve. Tout le monde les connaît, et cependant je ne puis les omettre. On y retrouve textuellement une phrase des Fiori que j’ai citée plus haut : “A te che fia se quell’ altro farà bene?”, ce qui ne laisse aucun doute sur la source où Dante a puisé15. On sait que c’est dans le Purgatoire, sur un mur d’enceinte, que le poète voit, sculptée d’une main divine, cette histoire avec d’autres16. L’ouvrier céleste avait employé un art plus merveilleux encore que celui d’Hephaistos : les figures sculptées parlaient, et on comprenait leurs paroles. C’est ce qui explique comment le poète put voir et entendre le dialogue entre Trajan et la femme qui l’implorait :

Quivi era storiata l’ alta gloria
Del roman prince . . . . . . . . . . . . . . . ..
Io dico di Traiano imperatore :
Ed una vedovella gli era al freno17,
Di lagrime atteggiata e di dolore18.
Dintorno a lui parea calcato e pieno
Di cavalieri, e l’ aquile nell’ oro
Sovr’ essi in vista al vento si movieno.
La miserella intra tutti costoro
Parea dicer : Signor, fammi vendetta
Del mio figliuol ch’ è morto, ond’ io m’ accoro.
267 Ed egli a lei rispondere : Ora aspetta
Tanto ch’ io torni. E quella : Signor mio
(Come persona in cui dolor s’ affretta),
Se tu non torni? Ed el : Chi fia dov’ io
La ti farà. Ed ella : L’ altrui bene
A te che fia, se il tuo metti in obblio?
Ond’ egli : Or ti conforta, che conviene
Ch’ io solva il mio dovere anzi ch’ io muova :
Giustizia vuole, e pietà mi ritiene19.

Dante n’a rien ajouté au récit qu’il avait lu : il l’a au contraire abrégé et l’a d’ailleurs reproduit fidèlement et simplement; mais par la seule force du style, par le choix des mots, par la sévère allure des vers, il l’a transformé et idéalisé. Ce qu’il a fait de plus heureux a été de changer le récit en tableau : le lecteur voit, par les yeux du poète, Trajan à cheval, la vedovella le saisissant par le frein, et cet incomparable ondoiement de chevaux, d’armes et d’or qu’il a fait, en trois vers, resplendir dans le vent qui l’agite. Un grand peintre moderne a voulu rendre à son tour ce qu’il avait ainsi vu, et dans le beau tableau qui fait l’honneur du musée de Rouen, le génie de Delacroix a osé se mesurer avec celui de Dante. Au reste, c’est ici le cas de parler de ces “malentendus féconds” dont un éminent critique a si finement indiqué l’importance dans l’histoire de la pensée humaine. Dante se représentait les aigles romaines comme des figures brodées sur des étendards d’or20, ainsi que celles de l’empire romain de son temps. De là le beau vers qui nous les montre “se mouvant au vent”. C’est cet or mobile et étincelant qui a fasciné, comme un éclair, l’imagination du peintre français; mais ce qu’il a dû mettre sur son tableau est tout autre chose que ce qu’avait pensé le poète florentin : ses 268 aigles d’or se dressent hautaines et immobiles, et les bannières qu’agite le souffle du vent ne sont là que par souvenir et ne répondent à rien de précis21.

Delacroix n’est pas le premier qui ait représenté avec le pinceau le sujet des vers de Dante, mais ses prédécesseurs avaient puisé directement aux sources latines. On conserve à Berne, parmi les dépouilles de Charles le Téméraire, une grande tapisserie représentant deux exemples de justice sévère, visiblement approuvés par Dieu; l’un d’eux22 est emprunté à notre histoire, que l’artiste, pour atteindre son but, a complétée par une seconde scène, représentant l’exécution du meurtrier. M. Pinchart23 et, plus recemment, M. Kinkel24 ont démontré que cette tapisserie, dont Jubinal a donné une gravure, est la reproduction des célèbres peintures dont Roger de le Pasture (que nous avons tort d’appeler avec les Flamands Van der Weyden, puisqu’il était de langue wallone) avait décoré la salle des jugements de l’hôtel de ville de Bruxelles. Au bas de la peinture on lisait et on lit au bas de la tapisserie l’exposition en latin du sujet représenté. Cette version, dont j’ai parlé plus haut en note, se rattache à celle de Jean de Salisbury. — M. Kinkel a suivi, dans un travail fort intéressant, toute la série de ces tableaux 269 de justice, dont il fut de mode, dans l’Allemagne occidentale et les Pays-Bas, vers la fin du xve et le commencement du xvie siècle, de décorer les salles où l’on rendait les jugements. Il faut ajouter à sa liste la peinture qui, d’après la Chronique de Cologne, ornait l’hôtel de ville de Cologne et représentait, comme celle de Bruxelles, la justice de Trajan et la récompense qu’il en reçut. Cette chronique a été rédigée dans la seconde moitié du xve siècle; il n’y a donc aucune raison pour attribuer aux peintures de Cologne l’antériorité sur célles de Bruxelles et pour contester l’opinion de M. Kinkel, qui regarde le travail de Roger de le Pasture comme ayant été le point de départ de tout ce mouvement :  Roger l’exécuta sans doute entre 1430 et 1440.

En se transmettant de proche en proche, souvent oralement, la légende ne se maintint pas toujours dans sa simplicité primitive. Dans un poème allemand qui remonte environ au milieu du xiie siècle, la Chronique des Empereurs, nous trouvons le récit augmenté d’un dénouement : l’auteur de cette version, comme jadis Paul, a trouvé que le jugement rendu par l’empereur devait être raconté en détail, mais il a suivi une idée toute différente, et plus raisonnable. On recherche et on trouve le meurtrier du jeune homme; il se défend : un procès compliqué s’engage; mais finalement justice est faite, le meurtrier est décapité25, et l’empereur fait envoyer sa tête à la veuve, qui le comble de louanges et de bénédictions26.

Mais, à une époque qu’il ne m’est pas possible de préciser, l’anecdote qui nous occupe reçut une modification bien autrement importante, qui la fit passer tout à fait dans le domaine du roman. On supposa que le meurtrier du fils de la veuve était le fils même de l’empereur, et que cela n’arrêtait pas sa justice. Il a dû exister une forme où il le faisait réellement périr, forme qui se greffait naturellement sur celle dont la 270 Kaiserchronik représente une version sans doute amplifiée; mais elle ne nous est pas parvenus; nous en trouvons seulement la trace en Espagne, dans ces vers de la romance no II sur Valdovinos27 :

Acuerdate de Trajano
En la justicia guardare,
Que no dejó sin castigo
Su único hijo carnale :
Aunque perdonó la parte,
El no quiso perdonare28.

Ainsi la veuve elle-même demandait à l’empereur, dans cette version, de ne pas punir son fils de mort, et il refusait d’adoucir la peine, pour ne pas manquer à la justice.

Dans une variante de ce récit qui est certainement fort ancienne, et que nous trouvons d’abord dans diverses chroniques allemandes29, l’empereur se rend, au contraire, aux prières de la veuve : celle-ci, en effet, quand il a condamné son fils à mort, déclare que ce n’est pas pour elle une réparation, et demande qu’au lieu de le tuer on le lui donne en échange de celui dont il l’a privée. L’empereur hésite, ne trouvant pas la peine assez forte, mais ses conseillers l’engagent à céder :  il donne alors son fils à la veuve, à condition qu’il remplisse envers elle tous les devoirs d’un fils et d’un serviteur30. Encore ici, on a cru embellir le récit, en mêlant dans la sentence de l’empereur la justice, le sens pratique (compensation pour la veuve) et la tendresse paternelle. C’est la même historie que rapportent en général les anciens commentateurs de Dante, 271 qui semblant, en la racontant, croire que Dante aussi la connaissait sous cette forme31. Un résumé de cette version, qui est caractérisée dès le début par la circonstance que le fils de l’empereur a tué l’autre non méchamment, mais par imprudence, en lançant trop inconsidérément son cheval, qui l’a écrasé, se trouve dans la Legenda aurea, compilée, comme on sait, par l’archevéque de Gênes, Jacques de Varaggio († 1298). Jacques donne d’abord la forme ancienne, dans un texte qui reproduit à peu près celui de Jean, puis il ajoute notre variante comme une aventure distincte :

Fertur quoque quod cum quidam filius Trajani per urbem equitando nimis lascive discurreret, filium cujusdam viduæ interemit; quod cum vidua Trajano lacrimabiliter exponeret, ipse filium suum qui hoc fecerat viduæ loco filii sui defuncti tradidit, et magnifice ipsam dotavit32.

Le même double emploi se retrouve dans John Bromyard, que nous avons cité plus haut parmi ceux qui reproduisent le récit de Jean; seulement, au lieu de placer la variante après le récit primitif, comme la Légende dorée, il la donne avant :

Scribitur quod [Trajanus] tantam ijn suis justitiam exercuit, quod filium proprium ad serviendum cuidam viduæ tradidit, quia filius suus indiscrete equitando viduæ filium impotentem pro matris servitio fecerat33.

Cette version, qui a fourni le sujet d’un conte de Hans Sachs34, a sûrement aussi existé en français: il y est fait 272 allusion dans les vers suivants de la Moralité ou histoire romaine d’une femme qui avoit voulu trahir la cité de Rome ;   l’un des juges dit à l’autre :

Valeirus, chose piteuse
Si peult en pitié moderer.
N’avez vous pas ouy compter
Que Trajan jugea son enfant
A mort, puis le voult repiter (éd. repeter)?
C’estoit empereur triomphant.
Ha ! ce fut ung cas suffisant
Et qui estoit de noble arroy.
Il en acquist renom bruyant
Et si tint justice en son ploy35.

Cette version, qui figure à la fois, comme nous l’avons vu, dans des chroniques allemandes de la première moitié du xiiie siècle, dans la Légende dorée, et dans des textes italiens du xive siècle, s’est en outre introduite, sans doute par transmission orale, dans la rédaction interpolée, faite au xive siècle, du livre curieux, certainement antérieur au xiie siècle dans sa forme primitive, qui, sous le nom de Mirabilia Romæ, a servi, pendant tout le moyen âge, de guide aux pèlerins et aux touristes qui visitaient Rome. L’altération du récit est sensible dès les premières lignes, où l’empereur (le nom de Trajan a disparu) est représenté sur son char et non à cheval; on la remarque aussi dans l’abréviation du dialogue, qui se trouve fortuitment réduit ici, à peu près, à ce qu’il était dans le récit primitif. Voici ce texte :

Cum esset imperator paratus in curru ad eundum extra pugnaturus, quædum paupercula vidua procidit ante pedes ejus, plorans et clamans; Domine, antequam vadas mihi facias rationem. Cui cum promisisset in reditu facere plenissimum jus, dixit illa : Forsitan morieris prius. Imperator hoc considerans præsiliit de curru ibitque posuit consistorium. 273 Mulier inquit : Habebam unicum filium, qui interfectus est a quodam juvene. Ad hanc vocem sententiavit imperator : Moriatur, inquit, homicida et non vivat. — Morietur ergo filius tuus, qui ludens cum filio occidit ipsum36. Qui cum duceretur ad mortem, mulier ingemuit voce magna : Reddatur mihi iste moriturus in loco filii mei, et sic erit mihi recompensatio ; alioquin nunquam me fateasr plenum jus accepisse. Quod et factum est, et ditata nimium ab imperatore recessit37.

C’est sans doute aussi par la tradition orale, mais propagée bien entendu dans la langue des clercs, que notre histoire, toujours sous cette forme particulière, est venu à la connaissance de Jean, moine de Haute-Seille en Lorraine, qui écrivait dans les dernières années du xiie siècle son curieux roman de Dolopathos. Le nom de Trajan manque dans son récit; mais, comme la scène du Dolopathos est placée au temps d’Auguste, il était obligé de le supprimer, même s’il le trouvait dans sa source : il s’agit simplement de rex quidam Romanorum. Le dialogue est à peu près exactement pareil, sauf les termes, à celui que donne le diacre Jean38, d’où il suit que notre groupe de versions se rattache directement au texte de cet auteur et n’a point passé par la rédaction de Jean de Salisbury. Nous ne nous tromperons sans doute pas de beaucoup en en plaçant la rédaction vers le milieu du xiie siècle. — Jean de Haute-Seille, suivant son usage39 , a cru devoir remanier le conte qu’il voulait insérer dans son œuvre : il a puérilement ajouté pour la veuve, à la perte de son fils unique, la perte de son unique poule40; il a transporté la scène hors de Rome, pour rendre l’action de l’empereur plus étonnante, en le faisant non-seulement s’arrêter, mais revenir à la ville pour rendre 274 justice; enfin il a donné à la mort du jeune homme un motif nouveau, qui prête au récit, à l’insu de l’auteur, un caractère tout à fait moyen âge. Voici ce conte, traduit sur le texte latin41 : “Un roi des Romains marchait un jour avec son armée contre les ennemis, qui avaient envahi la plus grande partie de son royaume. Il traversa un village où habitait, avec son fils unique, dans une maisonnette, une pauvre veuve, qui de tous les biens de la terre ne possédait au’une poule. Comme l’armée passait devant sa porte, le fils du roi, qui, suivant l’usage des jeunes nobles de son âge, portait sur son poing un épervier, le jeta sur la poule de la veuve, et l’épervier l’eut bientôt broyée sous ses ongles recourbés : le fils de la veuve, accourant au secours, frappa l’oiseau de proie de son bâton et le tua raide. Le fils du roi entra dans une violente fureur, et, pour venger son épervier, il perça de son épée le fils de la veuve. La voilà donc privée de son fils unique et dépouillée du seul bien qu’elle possédait. Que faire? Elle courut après le roi, l’atteignit, et avec force larmes et sanglots, elle lui demanda se venger son fils injustement tué. Le roi, dont le cœur était bon et pitoyable, s’arrêta un instant, et dit doucement à la vieille d’attendre qu’il fût revenu de la guerre : Alors, dit-il, je vengerai volontiers ton fils. Mais la veuve : Et si tu es tué dans cette guerre, qui le vengera? —  Je te renvoie, dit-il, à celui qui me succédera. — Et quelle récompense en recevras-tu, dit-elle, si un autre venge celui qui a été tué sous ton règne? — Aucune. — Fais donc toi-même ce que tu aurais laissé à un autre, pour mériter la reconnaissance des hommes et la récompense des dieux. Le roi, touché de ce discours, différa son départ et revint à la ville. Mais quand il sut que c’était son fils qui était le meurtrier : Je pense, dit-il à la mère, que ta poule est suffisamment payée par l’épervier. Quant à ton fils, pour te 275 donner satisfaction, je te laisse le choix entre deux choses : ou je mettrai mon fils à mort, ou, si tu préfères qu’il vive, je te le donnerai au lieu du mort, pour t’honorer comme mère, t’adorer comme reine, te craindre comme maîtresse et te servier jusqu’à la fin de tes jours. Tu décideras. Elle, considérant qu’il lui valait mieux prendre le second parti, reçut le jeune homme comme fils; elle quitta sa cabane pour un palais; elle changea ses pauvres habits pour des robes de pourpre. Quant au roi, après avoir fait justice, il marcha contre ses ennemis42.

Cette version a subi en Allemagne une nouvelle et curieuse déviation. Déjà dans les contes que nous venons de parcourir, l’esprit du récit primitif était singulièrement changé : le jugement, qui, à l’origine, était seulement indiqué, avait pris l’importance prépondérante: le merveilleux n’était plus qu’un empereur, pour rendre justice à une pauvre femme, s’arrêtât avec toute son armée déjà en marche, mais bien qu’un souverain condamnât à mort son propre fils coupable de meurtre. Dès lors, la première partie pouvait et devait tomber; la seconde était exposée à se confondre avec des récits analogues. Ce fut ce qui arriva : d’après Enenkel, le fils de Trajan avait, non pas tué le fils de la veuve, mais déshonoré sa fille; l’empereur le condamna à mort; en vain la veuve demanda sa grâce, en vain les conseillers du prince se joignirent à elle : “Rien ne doit porter atteinte, dit-il, à ma réputation de justice. Mais un homme aveuglé ne peut être mis à mort; je consens à ce que mon fils soit seulement privé de la vue.” Il ajouta ensuite : “Mon fils et moi ne faisons qu’une chair; puisque le coupable doit perdre deux yeux, il est permis de partager la peine entre nous.” Et, ayant fait crever un œil à son fils, il s’infligea le même supplice. — On a depuis longtemps43 reconnu la confusion qui s’est introduite dans ce récit : Enenkel a mêlé avec l’histoire de Trajan et de la veuve celle de Zaleucus, le législateur des Locriens, qui, ayant porté contre l’adultère la peine de l’aveuglement, ne voulut pas, malgré les prières du peuple, y 276 soustraire son fils, mais consentit à la diminuer en la partageant avec lui44. Un compilateur qui avait sous les yeux le rêcit d’Enenkel et le text de la Kaiserchronik45 a résumé le premier avant de rapporter le second46.

Parmi les traits plus ou moins semblables à celui qu’on attribue à Trajan qui se retrouvent dans différentes littératures47, il en est plus d’un sans doute qui a pour source l’histoire même qui nous occupe; mais l’étude de ce point nous entraînerait trop loin de notre sujet, sans nous fournir de résultats vraiment dignes d’attention48.

Notes

 1  AA. SS. Mart. t. II, p. 135. Cette dernière phrase est visiblement altérée.

 2  AA. SS. Mart. t. II. P. 153.

 3  Mon. Germ. SS., t. XVI, p. 112.

 4  J, xiij, 8. La veuve, pour décider Trajan, lui cite Ézéchiel.

 5  Entre autres en abrégé dans Théodore Engelhusen (1423), cité par Massmann (Kaiserchronik, III, 751). — Le récit versifié de Godefroi de Viterbe (éd. Pistorius, p. 369) paraît avoir la même source, mais l’auteur, suivant son usage, y a fait quelques modifications. Il indique le lieu de la scène : Pontis apud Tiberim properans dum transiit arcus, Obvia state vidua. Ces paroles offrent un remarquable rapport avec celles de Hugo d’Eteria (voy. ci-dessous, p. 290, note).

 6  Voy. Schaarschmidt, Johannes Saresberiensis, p. 143.

 7  Policrat., V, 8.

 8  Et par bien d’autres, notamment par l’auteur du Dialogus creaturarum (no 68), par Arnold Geilhoven de Rotterdam († 1442) dans son Gnotosolitos (Bruxelles, 1476, I, xvi, 2).

 9  Jahrbuch fûr romanische Literatur, XIV, 153.

10  Voy. sur ce point Th. Sundby, Brunetto Latinos Levnet og Skrifter (Copenh., 1869), p. 54, et A. d’Ancona, Romania, II, 403.

11  La même addition se remarque dans le récit latin qui sert d’inscription à la tapisserie de Berne, dont il sera parlé plus loin; mais cette inscription comprend en outre la mention de la Perse comme lieu de l’expédition projetée, et des détails sur la mort et la sépulture de Trajan qui prouvent qu’elle a emprunté sa conclusion à une des nombreuses compilations historiques qui, au moyen âge, reproduisent ces renseignments sur Trajan.

12  Voyez le texte dans Nannucci, Manuale della letteratura del primo secolo (2o edizione, 1858), p. 315. Le même recueil contient, p. 76, la version du Novellino. — Voy. A. d’Ancona, dans la Romania, III. 179.

13  Cette ressemblance a déjà été remarquée, et M. Bartoli (I primi due secoli della letteratura italiana, Milano, 1873, p. 293) a reconnu que c’était le Novellino qui avait imité les Fiori et non l’inverse : la comparaison du latin met le fait hors de doute.

14  M. A. d’Ancona (Romania, l. l.) a établi que le Novellino a été écrit, sans doute par un seul auteur qui puisait à des sources diverses, dans les dernières années du xiiie siècle.

15  Cette remarque a déjà été faite par Nannucci : elle est décisive. Un autre trait aurait pu porter à croire que Dante avait suivi le Novellino :  tandis que les Fiori portent “quando io reddirò. . . . . se tu non torni;” mais il n’y a là qu’une coïncidence facilement explicable, tandis que celle qui existe entre les Fiori et la Commedia ne peut guère être due au hasard.

16  Toutes ces histoires sont données comme des exemples d’humilité. En effet, l’action de Trajan, surtout dans sa forme primitive, était moins remarquable comme trait de justice que de simplicité et de bonté familière : l’empereur se laissait faire la leçon par une femme du peuple.

17  Dante a substitué cette attitude, plus noble, au geste qu’avait imaginé Jean de Salisbury.

18  “Piangendo molto teneramente,” disent les Fiori. Ce trait est supprimé dans les Cento Novelle.

19  Ces dernières paroles ont une ressemblance qui semble difficilement pouvoir être fortuite avec celles du diacre Jean : ratione pariter et pietate commotus. Il est donc probable que Dante a eu sous les yeux le texte latin de Jean avec le texte italien des Fiori.

20  C’est ainsi qu’elles sont représentées sur la tapisserie de Berne, dont je vais parler : on porte derrière Trajan de grandes bannières où sont brodées des aigles à deux têtes. Les anciens commentateurs de Dante expliquent ses paroles de même; il s’agit, dit par exemple Fr. Da Buti, d’“aquile nere nel campo ad oro, come è la insegna del romano imperio.” Aussi la leçon nell’ oro est-elle préférable à la correction maladroite dell’ oro.

21  Le tableau de Delacroix est d’ailleurs bien différent de celui que se représentait Dante : il est aussi mouvementé que l’autre était serein. La veuve a jeté le cadavre de son petit enfant (la tradition en faisait un jeune homme) devant les pieds du cheval de l’empereur, qui se cabre : Trajan regarde la mère, plus emportée qu’éplorée, avec une sorte d’effroi.

22  L’autre est une histoire tirée de Césaire d’Heisterbach et dont le héros, comme l’a fort bien reconnu M. Kinkel, est un Archambaud de Bourbon. Césaire, qui écrivait vers 1225, dit l’événement arrivé deux ans avant : il ne peut donc s’appliquer ni à Archambaud VII, mort à la troisième croisade, ni à Archambaud VIII, mort vers 1242. Au reste, l’authenticité en est plus que contestable; aucun historien français n’en dit mot. Je remarque en passant que la Moralité d’un empereur qui tua son nepveu qui avoit prins une fille à force (Anc. Théâtre fr., t. III, No 53) n’est autre chose que cette histoire rapportée à un empereur romain.

23  Bull. de l’Acad. Roy. de Belgique, 2e série, t. XVII (1864), no 1. — Le mémoire de M. Pinchart, qui soutient, à l’aide des mêmes arguments, la thèse qu’a défendue depuis M. Kindel, est resté inconnu à celui-ci. J’en dois la connaissance à l’obligeante érudtion de M. Eugène Müntz.

24  Mosaik zur Kunstgeschichte, Berlin, 1876, p. 302 ss.

25  La Chronique de Repgow, citée par Massmann, Kaiserchr. III, 753, n’a guère fait, ici comme ailleurs, que suivre et abréger la Kaiserchronik.

26  La source de la Kaiserchronik devait beaucoup ressembler à la légende de la tapisserie de Berne. Elle se terminait, comme elle, par des renseignements empruntés aux compilations historiques authentiques. Seulement le poète allemand, suivant son usage de tout ramener au style contemporain, appelle Normands les ennemis que Trajan allait combattre.

27  Sur ces romances et ce personnage, voy. Hist. poét. de Charlemagne, p. 210.

28  Duran, Romancero general, t. I, p. 213.

29  La chronqiue rimée du Viennois Jansen Enenkel (vers 1250), la chronique en prose du Strasbourgeois Jacob Twinger de Königshofen (fin du xive siècle), et la traduction allemande (xive siècle) des Annales Colonienses maximi (vers 1240). Pour les citations, je renvoie à Massmann, Kaiserchronik, t. III. Hermann de Fritzler, dans sa Vie des Saints (vers 1350), rapporte aussi, mais très-brièvement, les mêmes faits (voy. Massmann, l. l.).

30  Königshofen et la chronique de Cologne disent que l’empereur le lui donna pour mari; mais c’est sans doute une confusion causée par les deux sens du mot man.

31  Voy. le texte de Jacopo della Lana dans l’édition de son Commentaire publiée à Bologne en 1866, et dans Zambrini, Libro di Novelle antiche (Bologna, 1868),no xlix. La même histoire se lit dans le Commentaire anonyme du xive siècle qu’a publié M. Fanfani (Bologna, Romagnoli, 1869, t. II, p. 175). Voyez aussi Fr. Da Buti, éd. Giannini, Pisa, t. II, p. 234.

32  Leg. Aur., ed. Grässe, Leipzig, 1846, p. 196. On est étonné, en présence de ces deux versions et des réflexions théologiques qui les accompagnent, de lire dans l’Histoire de la ville de Rome de M. Gregorovius (2e éd. p. 87) : “Le livre de Jacques de Voragine, chose remarquable, n’a pas admis cette légende.” — Une forme également très-abrégée de ce récit se trouve dans Gritsch. Quadragesimale, xxxii, S.

33  On pourrait croire que Bromyard fait allusion à un récit où le jeune homme était seulement blessé; mais ce n’est sans doute là qu’une négligence d’expression.

34  Hans Sachs, Herausgegeben von Ad. Von Keller (Stuttgart, 1870), t. II, p. 378. Le récit de Hans Sachs est fort maladroit : la veuve demande dès l’abord justice à l’empereur contre son fils, ce qui rend absurde le dialogue qui suit. Il le lui donne en gage, jusqu’à ce qu’il revienne; la veuve l’accepte volontiers, et on ne raconte pas ensuite que Trajan soit revenu ni qu’il ait fait justice. Hans Sachs a écrit cette faible pièce le 13 septembre 1553. Il ne dit rien de la libération de l’âme de Trajan.

35  Ancien Théâtre françois, p. p. Viollet-le-Duc, t. III, p. 178.

36  Dans toutes les autres dérivations de la source commune de ces récits, le fils de l’empereur écrase celui de la veuve : c’est encore ici une altération.

37  Voy. Urlichs, Codex topographicus urbis Romæ, p. 129.

38  Comme dans ce texte, la veuve demande à Trajan quelle récompense il recevra du bien accompli par son successeur, et il répond : “Aucune.” Cette réplique, comme nous l’avons vu plus haut, a été supprimée par Jean de Salisbury.

39  Sur l’œuvre et les procédés littéraires de Jean de Haute-Seille, voy. Romania, II, 481 ss.

40  Sur une addition du même genre, mais encore plus ridicule, faite par Jean à un autre conte, voy. Romania, l. l.

41  Il faut remarquer que cette histoire est racontée pour engager le roi à ne pas faire périr son fils accusé, mais à tenir compte à la fois, comme le fit Trajan, de la justice et de l’amour paternel. C’est dans une intention semblable qu’elle est rapportée (ainsi que celle de Zaleucus) dans la Moralité dont j’ai donné les vers plus haut. Ainsi l’esprit qui avait inspiré cette forme particulière de l’historie s’en était presque tout à fait éloigné, depuis qu’on avait représenté l’empereur cédant aux prières de la veuve et faisant grâce à son fils de la peine capitale.

42  Dolopathos, éd. Oesterley, p. 62. — La traduction de Herbert (Li Romans de Dolopathos), éd. Brunet et de Montaiglon, v. 7682-7850) n’ajoute ni ne change rien d’essentiel au récit original.

43  Massmann, Kaiserchronik, III, 755.

44  Voyez, sur les différents auteurs qui ont rapporté cette histoire, la note de M. Oesterley sur le no 50 des Gesta Romanorum.

45  C’est l’auteur du ms. de Gotha (xive s.) de la chronique de Repgow : “Trajânus was ên sô reht rihtêre dat he durch dat reht eme selven ên ôge ût brac, und sîneme sone ên” (Massman, Kaiserchr. III, 755).

46  Le rapprochement des histoires de Trajan et de Zaleucus s’est fait plus d’une fois : la Moralité citée plus haut mentionne le second immédiatement après le premier. On représentait volontiers, dans les salles de jugement, l’action du législateur locrien comme celle de l’empereur romain; de là la singulère confusion de Van Mander, qui, décrivant les peintures de Roger de le Pasture à Bruxelles, substitue l’une à l’autre, et prétend qu’on voit “un père et son fils, auxquels on crève un œil” (Pinchart, p. 10 : Kinkel, p. 346).

47  Massmann cite une anecdote rapportée par Nicéphore à Héraclius, une autre attribuée au comte Lédéric de Flandre, une autre dont on fait honneur à un grand vizir. Sur l’anecdote relative à Saladin, indiquée par Nannucci, Manuale, t. I, p. 76, voy. ci-dessous, p. 288, note 3. — L’histoire de Basanus et de son fils, racontée par Trithème dans le faux Hunibald, est certainement une simple imitation de celles de Trajan et de Zaleucus.

48  Massmann comprend (et M. Oesterley après lui) parmi les variantes de notre histoire celle qui fait le sujet du no 309 du Libro de los Enxemplos ;  mais il y a là une confusion manifeste : cette histoire est celle que Godefroi de Viterbe et d’autres auteurs cités par Massmann lui-même (Kaiserchr., t. III, p. 1084) attribuent à Otton III, et qui n’a que très-peu de rapport avec la nôtre. Cette histoire a aussi été peinte dans des salles de justice (voy. Kinkel, p. 339). — Une autre anecdote dont Otton III est le héros (Grimm, Deutsche Sagen, no 478) commence comme la nôtre, mais a un développement tout différent.






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