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From La Légende de Trajan, by Gaston Paris, Extrait des mélanges publiés par l’École des Hautes Études; Paris: 1878, pp. 277-288.

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LA JUSTICE DE TRAJAN.

II. TRAJAN ET SAINT GRÉGOIRE.

Revenons au récit le plus simple et le plus ancient. Il ne nous est parvenu qu’enveloppé dans une autre légende. On raconte que le pape saint Grégoire le Grand (590-604), en se rappelant l’acte de justice de Trajan, fut saisi d’une profonde douleur à le pensée qu’un homme si vertueux était damné. Il pleura et pria longtemps pour lui, et une voix d’en haut lui annonça, dans une vision, que Dieu avait exaucé sa prière pour Trajan, mais qu’il se gardât bien désormais de prier pour d’autres que pour des chrétiens. Ce sont les biographes de Grégoire qui, en nous racontant cette histoire, nous font connaître le trait de la vie de Trajan qui avait tant ému le pape.

Nous possédons, en comptant celle de Bède, trois vies de saint Grégoire1, qui ont toutes pour source principale une “légende”, composée, sans doute peu de temps après sa mort, pour l’usage des Églises anglo-saxonnes, qui lui devaient leur existence. Cette légende est perdue : elle a été d’abord utilisée par Bède (735), qui a inséré dans son Historia ecclesiastica Anglorum une véritable biographie de saint Grégoire; l’ouvrage de Bède a fourni le fond de la Vie rédigée vers 7602 par Paul, fils de Warnefrid, connu sous le nam de Paul Diacre. Enfin, vers l’an 80, un diacre romain, nommé Jean3 et surnommmé Hymonide, composa une Vie beaucoup plus étendue, à la prière du pape Jean VIII. Ce pape avait remarqué avec étonnement que saint Grégoire n’avait pas trouvé de biographe dans l’Église romaine, tandis que les Saxons et les Lombards, 278 peuples, l’un si éloigné, l’autre si ennemi de Rome, possédaient des vies du pontife romain écrites pour leurs Églises. Ce fut pour combler cette lacune que Jean composa sa vie en quatre livres; il put puiser pour l’écrire dans les archives pontificales; mais il n’y trouva que des lettres ou des actes de Grégoire : il ne put ajouter aucun document réellement biographique à la légende saxonne et à l’opuscule de Paul.

La légende anglaise contenait l’histoire des prières pour Trajan et du fait qui les avait provoquées. Jean le dit expressément : “Legitur penes easdem Anglorum ecclesias4.” Bède l’avait donc lue, mais, la jugeant sans doute fabuleuse et dangereuse, il l’a omise. Elle figure cependant dans les diverses éditions de l’ouvrage de Paul, qui n’avait d’autre source que Bède; mais, comme l’a montré M. Bethmann5, toute la partie où elle se trouve est une interpolation postérieure. D’où provient cette interpolation, qui remonte au moins au xi (e) siècle, puisqu’elle se lit dans un grand nombre de manuscrits du xii (e)? Elle peut avoir deux sources : ou la légende saxonne (que Paul n’avait connue que par l’extrait de Bède), ou la Vita de Jean. M. Bethmann croit que c’est la légende saxonne qui en a fourni le fond, et plusieurs circonstances rendent cette opinion à peu près assurée. En ce qui concerne notre anecdote, l’ouvrage de Jean et l’interpolation pratiquée dans le livre de Paul nous offrent donc deux dérivations indépendantes de cette légende, aujourd’hui perdue. Je vais, comme je l’ai fait pour la partie relative à Trajan, donner en regard l’une de l’autre les deux rédactions qui la représentent :

Ta ble 279 6, 7. End table

Ce sont probablement les dernières paroles du text de Paul, mal interprétées, qui ont donné lieu à un développement postérieur de la légende. D’après un manuscrit du Vatican8, qui rapporte cette histoire sous le nom (certainement feint) du diacre Pierre, le meilleur ami de Grégoire, et d’un diacre Jean, dont le nom est sans doute emprunté au biographe plus jeune de deux siècles, Grégoire aurait raconté lui-même qu’un ange lui avait annoncé qu’en punition de son intervention indiscrète, quoique heureuse, il souffrirait dans son corps (de fièvres et de maux d’estomac) jusqu’à la fin de ses jours. Ce récit existait certainement à une époque ancienne, puisque la Kaiserchronik, au xii (e) siècle, l’a reproduit 280 dans son style archaïque et naïf : l’ange qui annonce à Grégoire que Dieu est prêt à exaucer son vœu le laisse encore libre d’y renoncer; s’il y persiste, il sera frappé de “sept maladies” et il mourra bientôt. Grégoire accepte de payer la rançon de Trajan; alors l’âme de l’empereur sort de la tombe où elle était chargée de liens, aux cris de fureur des démons; elle est remise à Grégoire, qui s’en fait le gardien jusqu’au jour du jugement dernier. Bientôt après, les maladiese annoncées le saisissent, et il ne tarde pas à mourir. Dans la Légende dorée, nous retrouvons la punition de Grégoire, mais elle n’est pas facultative, non plus que dans le récit attribué à Pierre et à Jean; l’ange donne seulement au pape le choix entre deux genres de châtiment : ou un état constant de maladie jusqu’à sa mort, ou deux jours de purgatoire; il n’hésitate pas à choisir la maladie9. Ce choix n’est pas marqué dans le récit de Godefroi de Viterbe, et la puniton est autre :

Angelico pulsu femur ejus tempore multo
Claudicat, et pœnæ corpore signa tenet.

L’histoire de la rédemption de l’âme de Trajan par les prères de Grégoire ne nous est pas connue seulement par les deux biographies de Jean et de Paul : un autre témoignage, apparemment plus ancien, nous atteste et son antiquité et sa diffusion. L’auteur grec d’un traité attribué à tort à saint Jean Damascène, mais qui n’est sans doute pas beaucoup plus récent, nous rapporte que Grégoire adressa au Dieu miséricordieux des prières ardentes pour la rémission des péchés de Trajan, et qu’il entendit aussitôt une voix divine lui dire : “J’ai exaucé tes prières, et je pardonne à Trajan; mais garde-toi dorénavant de m’implorer pour des impies.” L’auteur ajoute : “Que ce soit là un fait réel et à l’abri de toute contestation, c’est ce qu’attestent l’Orient et l’Occident tout 281 entier.10.” Faut-il croire que l’auteur grec avait lu la légende saxonne? Il est beaucoup plus probable, d’après les termes mêmes dont il se sert, qu’il connaissait par la tradition l’intercession extraordinaire de Grégoire. S’il en est ainsi, il nous fournit pour cette histoire une seconde source, indépendante de la première.11

Quoi qu’il en soit, cette histoire fut accueillie avec faveur, pendant tout le moyen âge, par les historiens et même par beaucoup de théologiens. C’est le plus souvent à propos de Grégoire de Grand qu’est raconté ce trait de la mansuétude et de la justice de Trajan, qui excita à un si haut degré son admiration et sa pitié. Sigebert de Gembloux se contente de rappeler brièvement la déliverance opérée par Grégoire; mais la plupart des auteurs que j’ai cités plus haut à propos de Trajan encadrent l’un des récits dans l’autre ou mentionnent Godefroi de Viterbe, Jean de Salisbury, les Annales Magdeburgenses, Hélinand, reproduit par Vincent de Beauvais, Girart de Roussillon, les Fiori di filosofi, le Novellino, Dante12 et ses commentateurs, Bromyard, et sans doute beaucoup d’autres ouvrages pieux et historiques qui n’ont pas encore été cités. Quelques-uns de ces texts ajoutent diverses circonstances, 282 qui nous offrent le développement à la fois logique et puéril de la donnée légendaire.

La Chronique des Empereurs semble déjà dire que saint Grégoire fit ouvrir le tombeau de Trajan (voyez ci-dessus) : l’imagination du moyen âge devait naturellement se demander dans quel état on avait trouvé le corps.13 D’après un récit que nous connaissons, non pas sans doute dans sa forme originale, qui était certainement latine14, mais par la rédaction allemande de la Chronique de Cologne et la rédaction italienne des Fiori di filosofi, source de celle du Novellino, quand on ouvrit la tombe, “In langue, dit la Chronique, était encore chair et sang,” “signe, dit le texte italien, qu’il avait parlé justement :” — “mais, ajoute la Chronique allemande, quand elle eut été à l’air, elle redevint poussière15.” Cette histoire forme le sujet du second tableau relatif à notre légende, exécuté par Roger de la Pasture et reproduit sur la tapisserie de Berne : d’un côte saint Grégoire est en prières, de l’autre on trouve le crâne de Trajan, où la langue est encore pleine et fraîche. L’inscription latine s’exprime ainsi :

Cum beatus papa Gregoirus rem tam difficilem a Deo suis precibus impetrare meruisset, corpus Trayani jam versum in pulverem reverenter detegens, linguam ejus quasi hominis vivi integram adinvenit, quod propter justiciam quam lingua sua persolvit pie creditur contigisse16.

Les mêmes scènes étaient sans doute représentées à l’hôtel de ville de Cologne (voyez ci-dessus, p. 269); au-dessous, d’après la Chronique, était écrit ce vers que prononçait Trajan :

Justus ego baratro gentiles salvor ah atro.17.

On devait aller pus loin : du moment que Trajan avait 283 conservé sa langue, ce devait être pour s’en servir. D’après plusieurs commentateurs de Dante, on avait par hasard18 ouvert une tombe inconnue : on y trouva, parmi des ossements, un crâne dans lequel la langue était encore fraîche; conjurée par le pape Grégoire, elle se mit à parler, à dire qu’elle avait appartenu à Trajan, et à raconter sa justice, en demandant qui s’éloigne sensiblement du point de départ, l’occasion des prières du pape. “Ita fabulas, dit Baronius, fabulis addidere, ut ridiculum etiam illud demum sit superadditum de Trajani cranio cum vivida adhuc lingua reperto, qua ipse suam miseriam deplorans ad commiserationem sanctum Gregorium movit.”

L’auteur des Annales de l’Église, on le voit, parle avec grand mépris de ces fables du moyen âge; il est d’ailleurs absolument hostile à la légende elle-même. Rien n’est plus naturel, et ce qui surprend, au contraire, c’est que des théologiens aient laissé passer et même répété un récit un récit qui est directement contraires à deux dogmes fondamentaux de l’Église : l’un que les infidèles sont damnés, l’autre qu’il est défendu de prier pour les damnés. Dès les plus anciens temps, il faut le constater, des objections s’étaient produites. La légende saxonne n’en élevait aucune : elle racontait naîvement cette histoire bizarre et touchante. Mais le diacre Jean en sentait les difficultés, et la manière dont il en parle prouve que ce trait de la vie de Grégoire, profondément oublié à Rome lorsqu’il le raconta d’après la légende saxonne, y avait rencontré des doutes et des scrupules : “Tandis que personne à Rome ne doute des miracles précédents19, dit-il, cet endroit de la légende saxonne 284 où on raconte que l’âme de Trajan fut, par les prières de Grégoire, délivrée des tourments de l’enfer, n’est pas cru de tous; on fait surtout remarquer que le grand docteur enseigne au quatrième livre de ses Dialogues que la même raison empêchera les saints, au jugement dernier, de prier pour les damnés qui empêche aujourd’hui les fidèles de prier pour les infidèles défunts, et que celui qui parle ainsi n’aurait certainement jamais songé à prier pour un païen. On ne fait pas attention que la légende ne dit pas que Grégoire pria pour Trajan, mais seulement qu’il pleura. Or, sans qu’il ait prié, ses larmes ont pu être exaucées . . . Il faut encore noter que la légende ne dit pas que par les prières de Grégoire l’âme de Trajan ait été délivrée de l’enfer et mise dans le paradis, ce qui paraît absolument incroyable, puisqu’il est écrit : A moins que l’homme ne renaisse de l’eau et de l’Esprit-Saint, il n’entrera pas dans le royaume des cieux. On dit simplement que l’âme fut délivrée des tourments de l’enfer, ce qui peut paraître croyable. Une âme peut être dans l’enfer, et, par la grâce de Dieu, ne pas en sentir les tourments; de même dans l’enfer c’est un seul et même feu qui embrase tous les damnés, mais, par la justice de Dieu, il ne les brûle pas tous également : car autant la faute de chacun est grave, autant sa peine est douloureuse.” Des deux atténuations de Jean, la première est peu sérieuse et manque mâme de bonne foi : dans son texte, il est vrai, on lit simplement flevisse, tandis que le texte attribué à Paul, plus fidèle sans doute à la légende saxonne, porte oravit et flevit; mais il rapporte lui-même que l’ange avertit Grégoire “de ne plus prier pour un païen20.” Quant à l’idée que l’âme de Trajan avait obtenu par l’intercession de Grégoire non pas une grâce entière, mais une commutation de peine, elle est évidemment contraire à l’esprit de la légende, et à l’interprétation qu’elle a reçue généralmement au moyen âge, mais elle peut se défendre suivant la lettre et elle a été admise par quelques auteurs. Le rédacteur des Annales Magdeburgenses, par exemple, l’a précisée encore plus que le diacre romain : “Je ne voudrais pas, dit-il, affirmer que cette intervention ait valu à Trajan le salut complet; je pense seulement 285 que, grâce aux larmes de Grégoire, il a obtenu une peine plus douce.”

Ce ne fut pas toutefois la seule tentative qu’on fit pour conserver le récit légendaire sans porter atteinte à la pureté de la foi. “La peine de Trajan, dit l’un21, avait dès l’origine été conditionnelle; Grégoire n’a pas sauvé un damné, mais mis à un supplice temporaire le terme prévu.” C’est n’expliquer rien : car comment un homme non baptisé pouvait-il ne pas être damné pour l’éternité? — “La peine de Trajan, par l’intercession de Grégoire, fut seulement suspendue jusqu’au jugement dernier.” Cette hypothèse paraît avoir été celle qu’a suivie la Chronique des Empereurs (voy. plus haut); elle est ingénieuse, mais elle ne résout pas la question : au jugement dernier que deviendra l’âme22? — Enfin la plus heureuse, quoique la plus hardie des explications, fut donnée par un théologien inventif, Guillaume d’Auxerre († 1230) : “Nul ne peut, dit-il, être sauvé s’il n’est baptisé; mais ce fut précisément ce que saint Grégoire obtint pour Trajan : à sa prière, il revint à la vie, son âme rentra dans son corps, Grégoire le baptisa, et l’âme, quittant de nouveau son enveloppe terrestre, monta droit au ciel23.” Ainsi tout était concilié. Saint Thomas d’Aquin ne s’en tint pas là : il fallait aux prières de Grégoire joindre quelque mérite personnel de Trajan, et tant qui’il était païen, il n’avait pu mériter : il admit donc que l’âme de Trajan anima un nouveau corps, qui, une fois baptisé, vécut chrétiennement et mérita le paradis24. Dante, qui vit l’âme de Trajan 286 formant, avec d’autres, le sourcil de l’aigle qui vole devant Jupiter (Parad. XX, 43), a exposé à sa manière le système du docteur angélique. Ainsi l’imagination, dirigée par la logique, indifférente à la réalité, — c’est la vraie scolastique. — s’exerça sur se sujet pendant des siècles, et déposa autour du simple noyau primitif ses cristallisations bizarres.

Sans s’embarrasser de ces subtilités, on admit généralement, au moyen âge, que l’âme d eTrajan était sauvée, par les prières de saint Grégoire25 et en considération de sa justice26. Si quelque esprit réfléchi s’étonnait de la contradiciton infligée par une pareille croyance à la doctrine catholique, les âmes pieuses se contentaient facilement des réflexions par lesquelles l’interpolateur de Paul termine son récit. “Le plus sûr est de voir ici un acte de la justice et de la puissance divine, qu’il faut vénérer et non pas discuter27.” Les Bollandistes se sont approprié ces paroles et one respecté le mystère.

Il n’en avait pas été ainsi de la théologie du xvi[e] siècle. Je ne sache pas que les protestants aient alors touché à la question; ils se seraient sans doute bornés à tourner en ridicule ce qu’ils auraient traité de fable papiste : car, moins encore que les catholiques, ils pouvaient admettre le salut d’un païen, surtout obtenu par des prières28. Mais les organes officiels de cette 287 théologie à moitié rationaliste, qui marqua, vers la fin du xvi[e] siècle, la renaissance de l’Église romaine, se prononcèrent éneregiquement contre l’authenticité du miracle attribué à saint Grégoire. Ils y furent provoqués par une tentative en sens contraire, qui sembla sans doute dangereuse : en 1576, le savant Alphonse Chacon29, connu, entre autres travaux d’érudition, par une monographie de la colonne Trajane que l’on consulte encore avec profit, publia à Rome un livre exprès pour démontrer que l’âme de Trajan était sauvée. Chacon avait été précédé par un autre Espagnol, Salmeron, l’un des douze premiers compagnons d’Ignace de Loyola, qui, dans le tome XIV de ses Dissertations théolgiques30, en a une spéciale (xxvii) sur ce sujet, Salmeron et Chacon s’intéressaient à l’âme de Trajan comme à celle d’un compatriote. La thèse du premier passa inaperçue, mais le petit livre de Chacon, où pour la première fois était cité le prétendu témoignage des diacres Pierre et Jean, fit du bruit31. Ce fut à cause de cet écrit que Baronius se crut obligé de détruire de fond en comble la légende que le monde chrétien avait acceptée depuis près de mille ans32. Bellarmin ne mit pas moins d’ardeur à soutenir la même thèse, et cet accord indique qu’à Rome on était gêné par ce récit, et on voulait s’en débarrasser. Quand on a lu les deux grands théologiens du catholicisme moderne33, quand 288 on y a joint la dissertation, d’ailleurs fort érudite, du protestant P. Preuser34, on est bien convaincu que l’âme de Trajan n’a pas été délivrée par saint Grégoire, et qu’elle subit et subira éternellement dans l’enfer la peine de son infidélité.



Notes



 1  La Vie publiée par Canisius (Lectiones antiquæ), éd. Basnage, t. II. p. iii, p. 256) ne compte pas : ce n’est qu’un sec abrégé de celle de Jean.

 2  C’est une &oeliguvre de la jeunesse de Paul (voy. Bethmann, dans lArchiv de Pertz. X, 303).

 3  C’est par suite d’une confusion que M. R. Reuss (Rev. crit., 1872, t. II. 283) fiat de Jean un moine du Mont-Cassin. La même erreur se trouve dans Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom, 2[e] éd. t. II, p. 93.

 4  A. A. SS. Mart., II, 153.

 5  Archie de Pertz, l. l..

 6  A. A. SS. l. l. 135.

 7  A. A. SS. l. l. 153.

 8  Ce ms., découvert et cité par Chacon, portait de son temps la cote Plut. iii, n[0] 153. Il contenait les Dialogues de Grégoire, et la note censée rédigée par Pierre et Jean était écrite sur la dernière page. Baronius, qui la déclare avec raison bien postérieure au vii[o] siècle, n’indique pas la date de l’écriture. Cette note ne mentionne notre légende qu’en passant; elle a réellement pour but de faire croire à certains privilèges obtenus du ciel par Grégoire pour la paroisse de Saint-Audré.

 9  Ce trait se retrouve dans le Catalogus sanctorum de Pierre de Natalibus (III, 192) : aut biduo in purgatorio cruciari, aut in vita sua infirmitatibus fatigari. Il est reproduit dans les Fiori di filosofi, mis il n’a pas passé dans le Novellino; il est indiqué dans le Commentaire de Dante connu sous le nom de l’Ottimo. L’anonyme de Florence ne parle que d’un jour de purgatoire, Buti que d’une heure.

10  S. Joann. Damasc. Opp., éd. Migne (t. XCV), col. 261. L’inauthenticité du traité Sur ceux qui se sont endormis dans la foi a été démontrée par Léon Allatius et, après lui, par l’auteur des Dissertationes damascenicæ, reproduites dans le tome XCIV de la Patroligie grecque de Migne.

11  C’est probablement au prétendu Jean Damascène que l’histoire a été empruntée par lEuchologe grec que cite Baronius : “De même que tu as délivré Trajan de sa peine par l’ardente intercession de ton serviteur Grégoire, écoute-nous, qui t’implorons non pour un idolâtre,” etc. Un grand nombre de passages d’écrivains grecs, réunis par Preuser dans l’ouvrage qui sera cité tout à l’heure, ont aussi pour unique base le passage du traité attribué à Jean de Damas. Hugo d’Eteria (De anima corpore exuta, c. xv) a, bien que Latin, emprunté cette hstoire à la tradition grecque. C’est ce qui ressort de la façon dont il raconte, et surtout de ses derniers mots : Quærite, si placet, apud Græcos; græca certe omnis testatur hœc ecclesia (Migne, Patr. lat t. CCII, p. 200). Cet écrivain a d’ailleurs vécu longtemps à Constantinople et connaissait à fond les théologiens grecs. S. Thomas aussi s’appuie sur S. Jean Damascène.

12  “Del roman prince, lo cui gran valore mosse Gregorio alla sua gran vittoria,” dit-il dans le passage cité plus haut. (Cf. ci-dssous, p. 285.)

13  Bien entendu on ne savait pas que le sépulchre pratiqué sous la colonne Trajane n’avait contenu que des cendres et non un cadavre. Tant le souvenir de l’antiquité avait complètement disparu!

14  Au moins n’oserais-je pas affirmer que cette forme primitive fût celle que donne l’inscription de Berne.

15  La Chronique est citée dans Massmann, l. l.; les deux textes italiens se trouvent dans le Manuale de Nannucci, l. l.

16  Kinkel, p. 364.

17  Notons que, d’après le témoignage de Salmeron et de Chacon (voy. ci-dessous), l’intercession de Grégoire était représentée sur un retable de l’église consacrée, à Rome, à ce saint.

18  C’est ce que disent Buti (éd. Giannini, t. II, p. 234) et J. Della Lana (voyez ci-dessus, p. 271). D’après l’Ottimo (Pisa, 1826, II, 161). Le même conte a été inséré par Benardino Corio dans son Histoire de Milan (1503), et c’est par cet ouvrage que l’a connu Chacon (voy. ci-dessous) et, à travers lui, Baronius.

19  L’Église romaine, on l’a vu, ne possédait aucune biographie de Grégoire; celle de Bède, qu’on connaissait à Rome par le rifacimento de Paul Diacre, avait supprimé tous les miracles racontés dans la légende saxonne; en sorte que Jean, qui les reprenait dans cette légende, était le premier à les faire connaître à Rome.

20  D’ailleurs, comme l’ont fait remarquer plusieurs théologiens, on prie avec le cœur et non avec les lèvres.

21  S. Thom. Aq. Quaest. Disput. VI, 6 (éd. Fretté, t. XIV, p. 463).

22  Saint Thomas d’Aquin, auquel cette question de l’âme de Trajan a donné beaucoup de mal, et qui en a proposé des solutions contradictoires, semble bien dire à un endroit (Ad libr. IV Sent. xlv, 2, 2; éd. Fretté, t. XI, p. 372) qu’après le jugement dernier l’âme de Trajan sera rendue aux enfers. Ce n’était presque pas la peine d’un miracle.

23  Voy. Chacon, p. 18. Toutes ces explications atténuantes sont réunies dans la Légende dorée. L’âme seule aurait été baptisée, d’après une des solutions de saint Thomas, adoptée par saint Vincent et saint Antonin.

24  Voy. l’endroit cité dans la n. 2. C’est une opinion ui, d’après Preuser, a été admise par plsieurs théologiens. Ceux qui rejettent la légende ont fait remarquer, non sans raison, que cette résurrection et cette conde vie de Trajan auraient fait quelque bruit à Rome, et que Grégoire lui-même en aurait sans doute parlé dans ses lettres.

25  On avait même profité de cette croyance pour l’exploiter. Ochino, dans le 23[e] de ses Apologi, nous montre un charlatan vendant une prière de Grvgoire le Grand qui, chaque fois qu’on la récite, tire une âme de l’enfer, et s’appuyant pour prouver son dire sur l’histoire de l’âme de Trajan. Ce conte, mentionné par Preuser, se trouve à la page 31 de la version allemande d’Ochino par Wirsing (1559, in-4[o]); je n’ai pu voir l’original italien.

26  Sainte Brigitte de Suède († 1373) eut une révélation qui lui confirma le salut de lâme de Trajan. Une visionnaire plus ancienne, sainte Mathilde († vers 1160), avait entendu Dieu lui dire qu’il ne voulait pas révéler aux hommes le sort de cette âme, non plus que de celles de Samson, de Salomon et d’Origène, Rolewink (Fasciculus temporum, éd. Pistorius, p. 40) fait sur ces révélations et d’autres semblables, qu’il avait entendu raconter, des réflexions assez curieuses. Chacon cite ces témoignanges comme démontrant la légende, et ils embarrassent quelque peu Baronius.

27  Les phrases qui précèdent celle-là, sur les doutes auxquesl l’histoire peut donner lieu, sont, dans le texte des Bollandists, inintelligibles et sans doute altérées.

28  Salmeron parle, au début de sa dissertation, des railleries des héroiques a ce sujet, mais il n’en cite aucun. Il est peu probable qu’il fasse allusion à l’apologue d’Ochino.

29  Le livre de Chacon sur l’âme de Trajan, comme celui sur la colonne Trajane, ayant paru (en latin) en Italie, il est appelé sur le titre Ciacconus, d’où l’on a tiré le nom Ciacconi ou Ciaccone, qu’on lui donne soubent à propos de ces livres. Sa dissertation porte le tire suivant : Historia ceu verissima a calumniis multorum vindicata, que refert Trajani animam precibus divi Gregorii a Tartareis cruciatibus ereptam. Elle a 22 pages in-folio et est dédiée à Grégoire XIII.

30  Éd. de Mdrid, 1597-1602. Mais il doit y avoir une édition antérieure, Salmeron étant mort en 1585. Chacon n’a pas connu son devancier.

31  Une traduction italienne par le camldule Fr. Pifferi parut à Sienne en 1595 (in-8[o], 88 pages). Le traducteur, sur le titre et dans le corps de l’ouvrage, appele l’auteur original Giaccone, faute qui a été souvent reproduite.

32  Annales, éd. Luc., t. XI, p. 59 ss.

33  La Redargutio historiæ de anima Trajani . . . liberata, auctore Bernardo Bruscho, theologo Veronense (Vérone, s. a.), n’a pas d’intérêt; c’est une simple compilation de ce qu’ont dit les théologiens antérieurs. Parmi ceux qui, apr&eagrave;s Baronius et Bellarmin, se sont encore occupés de notre légende, il faut surtout citer le théologien français Noël Alexandre, qui l’a également réfutée en forme.

34  De Trajano imperatore precibus Gregorii magni ex inferno liberato (thèses soutenue à Leipzig le 12 février 1710).






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